Lorsque l'humanité se lance dans l'exploration de la surface de Vénus, elle y découvre des tunnels, construits par une race extraterrestre, dans lesquels se trouvent de mystérieux artefacts ainsi qu'une carte du système solaire. Cette dernière permet de rapidement découvrir un astéroïde - la Grande Porte - quelque part entre Vénus et Mercure. Aménagée en son intérieur par les mêmes extraterrestres que les humains nomment les Heechees, la Grande Porte leur réserve une surprise de taille : la bagatelle de deux cents vaisseaux spatiaux, d'une technologie totalement inconnue, mais en état de marche pour la plupart.
Voilà l'idée de départ du roman. La suite pourrait être très conventionnelle, dans la lignée des classiques de l'âge d'or de la SF, avec un savant mélange de science, d'aventures et d'exploration spatiale.
La force du roman de Pohl, c'est que ça ne se passe pas du tout comme ça : les vaisseaux Heechees volent, certes, mais on n'en comprend pas le fonctionnement. À commencer par le système de navigation. Autrement dit, on embarque dans un vaisseau pour un voyage d'une durée inconnue, vers une destination tout aussi inconnue. Sans garantie de succès. Sans même être sûr d'en revenir vivant. Car beaucoup de vaisseaux ne reviennent jamais. Ou reviennent trop tard, avec un équipage mort. Quant aux Heechees, ils ont tout simplement disparu.
Le roman se concentre sur la microsociété qui vit dans les tunnels glauques de la Grande Porte : la cynique et mercantile corporation multinationale qui gère l'ensemble, mais aussi et surtout les "prospecteurs" qu'elle exploite, ces hommes et ces femmes qui se ruinent pour rejoindre l'astéroïde et qui jouent leur vie en tentant leur chance sur un vol. Quelques-uns deviennent riches... Pas mal y perdent la vie... Et beaucoup restent pauvres. Vous l'aurez compris, la Grande Porte est bien loin des idéaux de modernité de l'âge d'or de la science-fiction. C'est un lieu sordide, puant, dans lequel s'entassent des centaines de paumés.
C'est parmi les prospecteurs que l'on fait la connaissance de Robinette Broadhead, le personnage central du roman. Lui, il fait partie de ceux qui ont touché le jackpot : Broadhead est devenu riche grâce à la Grande Porte. Mais au prix d'un sacrifice trop lourd à porter.
La construction même du roman est intéressante : un chapitre sur deux met en scène une séance de psychanalyse du Robinette riche, revenu de la Grande Porte et habitant la "grosse bulle" de New York, auprès de Sigfrid von Shrink. Ce dernier n'est pas un homme mais une machine. Les chapitres pairs, qui forment la plus grosse partie du roman, font office de flashbacks décrivant le séjour de Robinette sur la Grande Porte. Plutôt loser et trouillard, il est, lui aussi, aux antipodes du classique aventurier explorateur intersidéral.
L'auteur fait merveille dans sa description de l'univers des prospecteurs. C'est moche et cynique, où les espoirs de futures gloires et richesses sont continuellement balayés par le drame et la misère. Cette triste ambiance est fort judicieusement renforcée par de croustillants petits encarts de textes présentant petites annonces et publicités dédiées à la Grande Porte et à son personnel. Pohl se montre souvent drôle et cruel, parfois poignant aussi.
Le récit est fort et on le dévore afin d'en savoir plus sur ce qui va arriver à notre héros et, surtout, sur les Heechees, leur destin et leur technologie. Car on ne sait rien d'eux. On ne connaît que leurs constructions tels que la Grande Porte, leurs vaisseaux et toutes sortes d'artefacts trouvés par-ci par-là. Mention spéciale aux étranges "éventails à prière". Plus on avance dans le roman et plus on espère en savoir plus. Autant vous le dire de suite, à ce niveau, la fin vous frustrera et il faudra vous plonger dans les 3 tomes suivants pour parfaire votre connaissance des Heechees.
"La Grande Porte" est devenu un classique de la SF des seventies. Publié en 1977, le roman est bien dans son époque, ce qui le rend un peu "poussiéreux" dès qu'il aborde le thème de la technologie. On sourira avec indulgence à l'évocation des machines qui cliquètent ou à celle de la piézovision, technologie ayant supplanté la TV. Mais ce côté désuet n'est pas sans charme, un peu comme dans les romans de Dick.
Si vous êtes fan de SF, ne passez surtout pas à côté de ce très grand roman !
"La Grande Porte" est édité en France en format poche par "J'ai lu".