Pour moi, Dan Simmons, c'est avant toute chose Hyperion et sa chute. Une oeuvre magistrale et géniale, qui s'est imposée, à mon avis, comme la plus grande réussite de la SF du début des années 90. Mais le "space opera" n'est pas le seul domaine de prédilection de cet écrivain américain : plusieurs de ses romans se rangent plutôt dans le genre fantastique, souvent à forte tendance horrifique. "L'échiquier du mal" en est un très digne représentant.
Publié en 1989 - la même année qu'Hyperion - "L'échiquier du mal" ("Carrion Comfort" en anglais) est à l'origine un gros pavé de plus de 1200 pages, scindé en 2 ou 4 tomes suivant les (ré-)éditions. Il traînait dans ma bibliothèque depuis des années. Il était temps de se pencher dessus.
Le prologue se situe en 1942, dans le camp d'extermination de Chelmno, en Pologne. Saul Laski, jeune adolescent juif polonais prisonnier depuis cinq mois, participe bien malgré lui à un jeu cruel orchestré par un colonel SS : une partie d'échecs dans laquelle les pions sont des détenus du camp. Ces derniers sont sous le contrôle mental des deux nazis qui s'affrontent, les faisant se déplacer, se battre et se tuer contre leur propre volonté. Saul en réchappe miraculeusement, aidé par un concours de circonstances fort opportun.
Le roman démarre alors, en faisant un bond de près de quarante ans pour nous emmener aux États-Unis, en Caroline du Sud, au tout début des années 80. C'est là que se retrouvent trois amis : William Borden, Nina Drayton et Melanie Fuller. Ça sent la naphtaline, mais ces trois vieillards ont une particularité : eux aussi sont doués du pouvoir psychique permettant de contrôler les actes d'autrui. Le "Talent". À partir de là, les événements se précipitent et le roman adopte un rythme effréné qui se maintient presque sans interruption jusqu'à la fin.
La trame est à priori simple, comme une éternelle variante de David et Goliath : un petit groupe d'humains "ordinaires", mené par Saul Laski, lutte contre un groupe de vampires psychiques dotés de moyens virtuellement sans limites. Classique ? Oui, mais c'est remarquablement efficace, car Simmons ne ménage ni ses efforts ni le lecteur. Le récit est nerveux, l'action est omniprésente et les personnages sont nombreux et intéressants. Quelques surprises sont au rendez-vous et elles sont les bienvenues pour relancer une histoire vraiment haletante.
Il n'est pas inutile de prévenir le futur lecteur que "L'échiquier du mal" est un roman souvent violent et même parfois vraiment trash, âmes sensibles s'abstenir ! Simmons ne fait pas dans la dentelle et massacre beaucoup de monde, y compris des personnages pas franchement secondaires. Et pas seulement à la fin du roman. Cela peut déstabiliser et frustrer le lecteur, mais ce n'est finalement qu'une logique et judicieuse illustration de la violence du thème et cette frénésie meurtrière participe grandement à l'ambiance sombre du récit.
Il faut également noter que la narration joue souvent au yoyo, avec de courts flash-backs reprenant l'action précédente, mais vue sous l'angle d'un autre personnage. C'est très bien amené bien que parfois déstabilisant et à ce petit jeu les chapitres écrits sous la perspective de Melanie Fuller sont à mon goût une des plus grandes réussites du roman.
Enfin, malgré l'action omniprésente et le jeu de massacre, Dan Simmons parvient à rendre nombre de ses personnages vraiment attachants, même parmi les plus terrifiants.
Comment conclure ce billet ? Il y a encore beaucoup de choses à dire sur ce roman long, brillant et marquant.
En un mot : foncez !
"Réveille-toi, petit pion. Le temps est venu de jouer."